Une femme malade
Derrière une bille
bleue comme une perte
les mains avides d'un enfant courent.
Comme une interminable forteresse
les fascicules reposent
ordonnés par prix, par tailles,
autour d'un kiosque.
La rue entière
est une voltige de pieds empressés,
un murmure d'adieux qui se posent
sur l'écho lointain du soir.
Une femme observe avec des yeux de brouillard.
Le soir animé est en train de prendre la forme
d'un rêve à réaliser.
Elle pense : les ombres des arbres
ressemblent aux vers de Whitman
parce qu'ils continuent à grandir éternellement.
Elle n'a jamais eu de dieux,
elle n'a pas senti
cet amer délice de la confiance aveugle
ni le besoin d'une certitude
en échange de son âme.
Jusqu'à cet instant précis
il était vide ce tiroir de sa peur.
et d'un coup un battement
intimement pur
lui révéla une nuit si décharnée
au milieu d'une terre tellement nue.
Elle se rappelle comment brillent les scorpions
à midi en été,
majestueux et erratiques
comme des idoles aztèques.
Juste à ce moment-là elle comprend
la raison de Walt Whitman.
Et elle commence à croire
à ce dieu magnanime et païen
qui est vivant dans ses pieds,
dans ses aisselles,
dans l'herbe mouillée,
dans chaque déclin comme une mère enceinte,
dans ses aines en boue
et dans le souvenir vivant de tout ce qu'elle a aimé.